Historique, vocabulaire, perception
CoursOutils transverses

Défaillances et facteur humain

Au bout du compte, les défaillances des ouvrages se manifestent toujours selon une logique mécanique : elle se produit parce que les effets des actions dépassent les capacités de résistance. On peut distinguer deux grandes familles de raisons :

  • La capacité est « convenable », mais les actions très supérieures à ce qui était attendu : phénomènes naturels exceptionnels, actions accidentelles...

  • Les actions n'ont rien d'exceptionnel mais les capacités sont notablement inférieures à ce qui était attendu, du fait de propriétés insuffisantes ou de la détérioration progressive des matériaux.

Cependant, les facteurs humains jouent souvent un rôle essentiel, que ce soit en phase de conception, de construction ou d'exploitation de l'ouvrage. L'erreur humaine peut provenir de décisions inappropriées, de connaissances insuffisantes ou de problèmes de compréhension ou de communication.

Définition : Facteurs humains

Ensemble des facteurs relatifs aux individus (psychologie, degré de préparation, vigilance...) et à leur organisation collective (organisation du travail, aspect sociaux...) qui peuvent influencer les comportements et la réponse du système d'une manière telle qu'elle peut affecter la sécurité.

Une étude sur les sinistres de construction expertisés par le bureau Véritas a montré que 82 % des désordres résultent d'une méconnaissance des sols. Dans la quasi-totalité des cas, les sinistres mettant en cause le terrain proviennent beaucoup plus de l'ignorance du comportement des sols, de l'absence de reconnaissances, d'erreurs de conception, que des incertitudes inhérentes aux paramètres mécaniques eux-mêmes. On entend souvent l'expression de « vice géotechnique », mais le sol n'est pas vicieux par nature. C'est la méconnaissance de ses propriétés, soit par incompétence, soit par souci d'économie, soit parfois parce que les variations locales sont inattendues, qui le fait apparaître tel.

Les accidents peuvent résulter de risques assumés consciemment (25 % des cas, correspondant à des niveaux de protection que l'on accepte, soit parce que l'élimination de ces risques est techniquement impossible, soit parce qu'elle n'est pas viable économiquement) ou d'erreurs humaines (75 % des cas). Ces dernières peuvent être classées en plusieurs familles [Matousek, 1976 ; Favre, 2001] :

Figure 2.2. Répartition statistique des facteurs de défaillance (d'après Matousek).
Figure 2.2. Répartition statistique des facteurs de défaillance (d'après Matousek).

La classification (taxonomie) des erreurs est une question complexe [Chao, 2004], qu'il est cependant utile d'aborder pour mieux comprendre ce qui conduit à la défaillance. Trois familles de raisons expliquent la majorité des défaillances : le manque de coordination entre spécialistes de différents champs disciplinaires, le manque de communication entre concepteurs, constructeurs et clients, l'incapacité à résister de façon optimale aux pressions (on peut qualifier de pression l'environnement économique, social, politique... ou l'ego de l'ingénieur). Réduire de façon significative la fréquence et l'importance des défaillances requiert donc d'identifier, de maîtriser et de s'efforcer de réduire les risques liés aux facteurs humains.

L'emploi de matériaux nouveaux ou de techniques innovantes, l'expérience et le niveau de connaissance de l'équipe chargée de la conception ou de la construction et l'environnement social, économique et politique sont identifiés depuis longtemps comme des facteurs de risque [Pugsley, 1973]. Walker a résumé les causes majeures de défaillance et leur pourcentage d'occurrence [Walker, 1981].

Tableau 2.2 : Causes les plus fréquentes de défaillance, d'après Walker, 1981.
Tableau 2.2 : Causes les plus fréquentes de défaillance, d'après Walker, 1981.

Cette classification confirme l'omniprésence du facteur humain. Les erreurs provoquant des sinistres auraient pu être détectées à temps dans 32 % des cas par une revue attentive des documents, et dans 55 % des cas par des contrôles supplémentaires, si on avait adopté les bonnes pratiques [Matousek, 1976].

La défaillance est l'aboutissement d'une séquence causale complexe. Chaque stade de la séquence est affecté d'incertitudes souvent difficiles à évaluer. Certains des éléments intervenant dans les séquences causales ne sont pas aisément modélisables. C'est par exemple le cas d'une erreur de calcul grossière dans un projet ou de l'oubli d'une circonstance possible [Mathieu, 1999].

Levy et Salvadori [Levy et Salvadori, 1992] ont analysé finement les raisons d'une vingtaine de défaillances d'ouvrages. Dans leur conclusion, ils posent la question : « est-il possible de prévenir d'autres effondrements à l'avenir ? ». Selon eux, les 5 facteurs principaux qui influencent la sécurité des structures, quelles qu'elles soient, sont :

  • les théories des structures,

  • les techniques de calcul,

  • les propriétés des matériaux,

  • les nouvelles techniques de communication,

  • les facteurs économiques.

Ils remarquent que la pression du temps et de l'argent est souvent la cause principale des défaillances de structures. Après avoir souligné, exemples à l'appui, que presque tous les effondrements sont dus à des erreurs humaines, ils expriment leur scepticisme quant au fait que les progrès techniques puissent seuls garantir une réduction des effondrements ; ils pourraient même augmenter. Leurs derniers mots sont : « Seule une meilleure prise de conscience de nos responsabilités humaines et sociales peut conduire à la construction d'ouvrages plus sûrs ».

La défaillance, résultat d'une conjonction de facteurs défavorables (page suivante)Illustration de quelques familles de défaillances (page Précédente)
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