Historique, vocabulaire, perception
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L'analyse des défaillances comme source de connaissance

Le risque a longtemps été évacué des préoccupations des ingénieurs qui parlaient d'action « accidentelle ». Si un séisme est une action « accidentelle », il convient de le traiter comme un accident, c'est à dire comme un phénomène rarissime. Mais, statistiquement parlant, le séisme n'a rien d'accidentel : il est tout à fait prévisible et relativement fréquent 9 . De même, la chute d'un bloc rocheux sur un ouvrage de protection peut-elle être qualifiée d'accidentelle, alors qu'elle justifie la présence même de l'ouvrage ?

Une culture du risque permet de poser un regard différent sur ces questions et de développer une approche alternative : le rocher risque de tomber, donc de générer des actions sur l'ouvrage, dont les propriétés peuvent être telles qu'il risque de ne pas se comporter de façon satisfaisante.

La défaillance apparaît alors non comme un accident, mais comme la conséquence logique de la conjonction de divers événements aléatoires défavorables (la chute du bloc et sa trajectoire, la résistance insuffisante de l'ouvrage), qu'il s'agit de mieux cerner si l'on vise à préciser la sécurité offerte par l'ouvrage (Perrotin, 2001).

Dans ce qui suit, le terme de « défaillance » ne devra pas être compris comme synonyme de ruine ou rupture : on considérera que le régime de défaillance est atteint dès que l'une des fonctions que doit assurer l'ouvrage n'est plus satisfaite.

Analysons à partir d'une situation concrète quels facteurs peuvent conditionner la défaillance.

L'effondrement du pont sur la rivière Tay

En 1878 s'achevait la construction du plus long pont du monde : sur la rivière Tay, à l'Est de l'Ecosse, ce pont métallique était destiné à favoriser le développement du chemin de fer. Il fut conçu par le plus éminent ingénieur de l'époque, Thomas Bouch. Inauguré le 31 mai 1878 par la Reine Victoria, il s'effondra le 28 décembre 1879 au cours d'une tempête (vents de force 11, soit plus de 120 km/h), au passage du train Liverpool-Edimbourg, causant 75 victimes.

Une commission d'enquête fut alors chargée de rechercher les origines de la catastrophe. Parmi les multiples causes, elle retint la conception trop légère de l'ouvrage, la faiblesse des piles (les piles devaient à l'origine être maçonnées mais les travaux ayant révélé la présence d'une couche de mauvaise qualité sous une faible épaisseur de roches saines, les briques furent remplacées par une charpente métallique en fer), la qualité de la fonte et des négligences de montage.

La plupart des concepteurs de ponts métalliques avant la catastrophe ne tenaient pas compte des efforts dus au vent pour le dimensionnement de l'ouvrage. Il était alors admis que l'assurance que l'ouvrage résiste aux efforts verticaux (poids de l'ouvrage et charges d'exploitation) suffisait pour assurer une stabilité latérale satisfaisante. En fait, les connaissances scientifiques dans le domaine des effets du vent étaient dans un état embryonnaire et il n'existait pas de consensus entre les experts. Cependant, l'environnement économique du projet semble avoir aussi joué un rôle, le budget limité et les délais très courts ayant probablement conduit Bouch au choix d'une solution non optimale pour la charpente des piles [Martin, Macleod, 1995].

Remarque :

Le passage du train et la tempête pourraient être considérés comme les causes de l'effondrement, mais celui-ci ne serait sans doute pas survenu si un certain nombre d'autres facteurs n'avaient placé l'ouvrage dans une situation défavorable (conception hardie, qualité des matériaux et de la mise en œuvre, justesse des modèles de calcul...). Il est difficile, voire impossible, de quantifier le rôle exact de chacun de ces facteurs dans la défaillance finale. On peut toutefois constater la multiplicité des « facteurs d'insécurité », dont la conjonction malheureuse a conduit à la défaillance finale.

Si l'on considère le fait d'avoir des efforts très élevés, des matériaux trop médiocres, un calcul trop optimiste ou un contrôle déficient, comme autant d'événements indépendants, la probabilité de chacun de ces événements est assez élevée (peut être de l'ordre de quelques pour cent). C'est parce que la défaillance ne résulte que de la réalisation simultanée de plusieurs de ces événements qu'elle est, de fait, rare. Une telle réflexion, pour qualitative qu'elle soit, sert de base à l'approche usuelle de la sécurité en génie civil, dont nous allons progressivement développer les fondements.

Les réflexions menées après des catastrophes spectaculaires ou des accidents permettent souvent une avancée collective, sur le plan de la recherche, de la pratique ou de la réglementation. Ainsi, la réglementation évolue régulièrement en réponse à de tels événements.

Par exemple, l'analyse rétrospective de plusieurs catastrophes dans des tunnels européens dans les années 1990 (Tunnel sous la Manche, tunnel du Mont-Blanc, avec 39 victimes, tunnel du Saint-Gothard, avec 11 victimes) a montré l'insuffisance des mesures de sécurité et le besoin d'améliorer les connaissances du comportement de ces ouvrages en cas d'incendie. Plusieurs recherches ont été mis en place dans ce but et la réglementation a été adaptée.

Illustration de quelques familles de défaillances (page suivante)Introduction (page Précédente)
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