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Illustration de quelques familles de défaillances

Ainsi que nous venons de le montrer avec l'exemple du Tay Bridge, l'expertise des défaillances sur des exemples concrets permet de mieux cerner les facteurs pouvant contribuer à la défaillance. Nous allons évoquer d'autres exemples avant de tirer quelques règles générales.

Des effondrements de ponts

L'effondrement du pont secoue la confiance sud-coréenne

Le pont de Songsu, à Séoul, s'est effondré le 21 octobre 1994. Le texte qui suit est extrait de la revue Construction today, de décembre 1994.

Dong Ah, le maître d'ouvrage responsable du pont Songsu (Séoul) qui s'est rompu en provoquant la mort de 32 personnes et en a blessé 17 autres a offert de démolir et de remplacer le pont de 1062 m de long. Il ne demandera pas à être payé pour ce travail qui sera effectué à partir de plans élaborés par une compagnie japonaise.

La fissuration due à la fatigue de pièces métalliques du treillis a causé la rupture du pont (qui avait été construit il y a 15 ans). La section à mi-travée s'est effondrée sans avertissement à 7h40 le 21 octobre, en projetant des véhicules 15 mètres plus bas, dans la rivière Nam. Les enquêteurs ont accusé le trafic trop intense et se sont demandés pourquoi de récents avertissements concernant la condition du pont ont été ignorés. Ils ont aussi cherché à savoir si la corruption a influencé la procédure de construction.

Le désastre a provoqué une crise politique, et pourrait ternir la réputation sud-coréenne en génie civil, qui est un sujet de fierté nationale. Le pont à plusieurs travées sur la rivière Nam était constitué d'un tablier en béton armé supporté par un ensemble de treillis métallique et avait une durée de vie estimée à 100 ans... Un expert a dit que la fissuration de fatigue des pièces reliant les treillis fixés aux piles aux treillis centraux (qui sont suspendus) a causé la ruine. La presse locale a évoqué des explications techniques légèrement différentes, impliquant la rupture d'attaches plutôt que celle de pièces porteuses.

Le Dr Sung Woo Lee, membre de l'équipe d'enquête payée par le gouvernement de Séoul et professeur de Génie Civil à l'Université a dit que le pont devait supporter des charges excédant celles permises par sa conception, mais que des défauts de matériaux et de fabrication peuvent aussi avoir contribué au désastre. L'équipe a analysé précisément l'hypothèse de rupture par fatigue... Certains éléments qui n'ont pas rompu présentent eux aussi des fissures de fatigue... L'une des premières tâches de l'enquête a été d'estimer la capacité portante de la structure à partir des dessins originaux.

L'acier utilisé a pu être importé et les procédures d'assurance-qualité à l'époque ne fournissent pas la preuve de sa qualité. Des questions se posent aussi quant à l'adéquation des soudures, telles que le comportement théorique du pont peut différer considérablement de celui de la structure réelle. Avant que le pont ne soit démoli, les enquêteurs devront achever un examen détaillé de la structure restante. Le Dr Sung a dit que les règles de construction d'il y a 15 ans pourraient n'avoir pas pris en compte les cycles de chargement et de fatigue.

Le rapide développement de la Corée du Sud a vu le trafic dépasser les prévisions. Le pont de Songsu voyait passer environ 100 000 véhicules par jour. Le Ministère de la Construction a communiqué les Règles de Conception des Ponts d'Autoroute qui ont été suivies pour cet ouvrage. Le chargement est pris en compte sous la forme d'une charge uniforme et d'un véhicule représentatif. A l'époque de la conception, il s'agissait d'un ‘DB18', véhicule à trois essieux, d'un PTC de 32.4 tonnes. En 1982, le Ministère de la Construction a fait passer la taille maximale des véhicules à celle d'un ‘DB 24' (43.2 tonnes), à cause de l'augmentation du trafic, et a modifié les codes en conséquence. Le pont Songsu a été classé comme ‘Niveau 1', capable de supporter tout type de trafic. Il n'apparaît pas qu'il ait fait l'objet de nouveaux calculs, ni d'améliorations structurelles à cette occasion.

De sérieux problèmes de circulation dans le centre ville ont conduit les autorités à décentraliser le trafic... De nombreux poids lourds empruntant le pont ajoutaient à la charge. Une usine de béton prêt à l'emploi s'est récemment implantée près du pont, intensifiant encore le chargement. Les chauffeurs de taxi parlaient du pont comme du « pont des poids lourds ». Le Dr Sung estime que des véhicules dépassant 60 tonnes au moins utilisaient régulièrement la structure jusqu'à l'accident.

Le désastre a soulevé le problème de la corruption dans l'industrie nationale de la construction. Une source a révélé que la compétition intense entre les compagnies a conduit à la corruption des responsables officiels... les travaux ne devaient coûter que 80 % du prix contractuel, les 20 % restants étant destinés au corrompu, et de nombreuses compagnies sous-traitaient les travaux, ce qui conduisait à un travail bâclé.

Il n'est pas certain que ce fût le cas pour ce pont, mais les enquêteurs examinent la qualité de la construction de l'ouvrage, édifié sous la responsabilité de Dong Ah. La responsabilité de la maintenance du pont revenait aux autorités municipales, et à une équipe de sept inspecteurs, qui avait sous sa charge 80 ouvrages dans Séoul... Les vérifications détaillées n'étaient pas requises pour les structures ayant moins de 20 ans, pour lesquelles on se limitait à des inspections visuelles. Des avertissements avaient été faits par plusieurs ingénieurs indépendants au cours des 19 derniers mois, apparemment sans effets...

Des effondrements de bâtiments

Effondrements de bâtiments en Egypte : une tragique tradition

L'effondrement d'un bâtiment au Caire a causé 6 victimes le 10 janvier 1999, lorsque des travaux de fondations pour une construction voisine ont créé une fouille de 6 m de profondeur et ont provoqué la déstabilisation de l'ouvrage. [France Inter, janvier 1999].

Ce type d'événement est fréquent en Egypte et s'inscrit dans un contexte très large d'urbanisation sauvage qui multiplie les constructions sans permis ou les étages rajoutés illégalement à des structures existantes (un accident récent a causé 70 victimes lorsqu'une banque occupant le rez-de-chaussée d'un bâtiment a supprimé 2 poteaux qui gênaient son occupation du hall). S'y ajoute la mauvaise qualité des matériaux employés dans les ouvrages construits dans les années 70, quand le ciment de qualité était réquisitionné par l'armée et quand les constructions civiles étaient édifiées avec du ciment médiocre en provenance des pays de l'Est. Chaque famille de victime est indemnisée à hauteur de 250 euros.

Le 27 octobre 1996, 64 personnes sont décédées et une vingtaine ont été blessées dans l'effondrement d'un bâtiment de douze étages. Un permis de construire avait été délivré en 1969 pour un bâtiment de sept étages, puis en 1977 pour un étage supplémentaire. Au fil des années, cinq avaient été construits. En 1993, le propriétaire avait été condamné à détruire le bâtiment jugé dangereux. Il est usuel au Caire d'ajouter illégalement des étages aux constructions existantes ; 75 % des bâtiments neufs sont estimés illégaux [Reuters, 28-10-1996].

Le 25 février 2002, 26 personnes ont été tuées et 25 blessées dans l'effondrement d'un bâtiment de quatre étages à Damiette. La plupart étaient en train de préparer un mariage dans un salon de beauté situé dans le bâtiment. Les habitants avaient évacué l'ouvrage quelques jours plus tôt, par crainte de son effondrement. Les autorités l'avaient destiné à la démolition deux ans plus tôt [CNN 27-02-2002].

Figure 2.1. Les constructions courantes en Egypte : un désastre en puissance.
Figure 2.1. Les constructions courantes en Egypte : un désastre en puissance.

Le gouvernement égyptien avait été obligé, suite à la catastrophe de 1996 et à la colère qu'elle provoqua dans la population, de renforcer les règles de construction. Cependant, le tableau 2.1., établi à partir de diverses sources (presse et Internet) recense (sans exhaustivité) ces effondrements d'immeubles, et en illustre le caractère récurrent, à tel point que deux catastrophes se sont produites le même jour, le 28 août 2006 !

Tableau 2.1. Chronique des effondrements de bâtiments égyptiens.
Tableau 2.1. Chronique des effondrements de bâtiments égyptiens.

Pour un expert égyptien, « la qualité des techniques courantes de construction en Egypte est tout simplement un désastre en puissance... sous l'effet d'un séisme, ces panneaux de brique se désintégreront et provoqueront de nombreuses victimes» (figure 2.1), http://www.info-world.com/egypt/ .

Au fil de la lecture, des facteurs récurrents apparaissent (mépris des règles, matériaux trop médiocres, études insuffisantes, dimensionnement non satisfaisant...), à tel point que leur présence semble presque « normale » une fois que la défaillance s'est produite. Un dernier exemple confirme cette impression, même quand c'est un séisme qui provoque l'effondrement.

D'autres constructions : passerelles, barrages, digues...

Gaddis a étudié en détail la défaillance structurelle ayant causé le plus de victimes aux Etats-Unis, la rupture d'une passerelle dans le hall du Hyatt Regency de Kansas City, en 1981 (114 victimes et plus de 200 blessés) [Gaddis, 1993]. La passerelle suspendue par des tiges métalliques s'est brusquement effondrée sur les danseurs qui se trouvaient dans le hall, précipitant aussi de nombreuses personnes dans le vide. L'expertise des causes révéla deux défauts majeurs de conception : les suspentes des passerelles avaient une résistance 40 % plus faible que celle initialement prévue sur les plans, le dessin des assemblages avait été modifié, conduisant à des efforts deux fois plus élevés sans que les calculs aient été refaits. Un manque de coordination entre les divers intervenants du projet expliquait ces déficiences dans la réalisation de la structure [Moncarz, 2000].

La rupture du barrage de Gouhou (Chine, 1993) a causé la mort d'au moins 400 personnes [Hayward, 1993]. La rupture brutale a conduit au déversement de 2 millions de m3 du réservoir quasiment plein. Le barrage de 71 m de haut consistait en une digue de sables et graviers protégée par un voile amont de béton. La rupture a été consécutive à des déficiences d'étanchéité : l'eau a pénétré le corps de la digue et a provoqué un phénomène d'érosion interne. L'ouvrage avait été conçu par un institut local de ressources en eau et édifié par un bureau régional de constructions ferroviaires qui n'avait pas d'expérience passée dans le domaine. Le contrôle des travaux avait été minimal et les enquêteurs ont trouvé des preuves de réparations hâtives autour de joints déficients.

Les événements climatiques peuvent avoir des conséquences dramatiques. Ainsi, le barrage de Shakidor au Balouchistan (sud-ouest du Pakistan), s'est effondré en février 2005, ne pouvant résister à une semaine de pluies torrentielles et de chutes de neige exceptionnelles. La rupture de ce barrage de 150 mètres de long a causé plus de 80 victimes et 400 disparus.

Le 26 août 2003, une digue qui protégeait le bourg de Wilnis, aux Pays-Bas, s'est effondrée sur une longueur de 60 mètres, provoquant l'inondation du voisinage et l'évacuation de 1 500 personnes. A cause de l'exceptionnelle période de sécheresse, le niveau de l'eau dans le canal était bas et la rupture était surprenante. En fait, c'est la sécheresse qui a été à l'origine de l'inondation (!), en provoquant la fissuration des sols et en fragilisant le matériau de la digue. Le Ministère en charge du système de canaux a réagi en imposant le pompage de l'eau de lacs pour réalimenter le réseau de canaux.

J.M. Duncan cite l'exemple d'une tranchée creusée en 1970 dans la baie de San Francisco, en relation avec l'aménagement du port [Duncan, 2000]. Au lieu d'une pente de talus de 1/1, les ingénieurs, rassurés par un calcul de stabilité, ont extrait les terres avec un profil de talus plus raide de 1/0.875, les gains espérés étant de l'ordre de 200.000 euros. Deux effondrements successifs ont interrompu les travaux et conduit à adopter une solution moins ambitieuse. L'analyse a posteriori a montré que la variabilité des propriétés mécaniques des sédiments avait été négligée.

Nous arrêterons là ce qui pourrait devenir une énumération fastidieuse. La Base de Données accessible en contient de nombreux que chacun pourra découvrir librement.

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