Les pratiques de l'interopérabilité : évolution et prospective

Les freins révélés par le contrat eXpert

Cette question lui a justement été posée par les Pouvoirs Publics à l'occasion d'une action thématique lancée par le Ministère de l'Industrie : L'action TIC-PME-2010, chargée d'examiner les freins à la diffusion des nouvelles technologies et du numérique dans les PME de tous les secteurs d'activité français. Et de proposer des pistes d'actions.

Pour le secteur de la Construction, avec le contrôle du Ministère chargé de la construction, du logement, et du développement durable, Médiaconstruct, lauréat du contrat eXpert, a analysé pendant presque 3 ans, avec l'ensemble des acteurs du secteur, la réponse a cette question (consulter son Livre Blanc).

Cette étude, basée sur des enquêtes, a mis en évidence une reconnaissance unanime des acteurs du secteur de l'intérêt d'adopter l'interopérabilité.

Mais en même temps elle a aussi constaté plus qu'un frein, un blocage vers la généralisation des nouvelles pratiques attendues, au-delà des opérations expérimentales convaincantes.

Le blocage semble provenir surtout d'une réaction d'attente des métiers de la Maitrise d'œuvre.

Plus précisément, nous observons un état des lieux que l'on pourrait qualifier de défavorable, en comparaison avec la plupart des pays anglo-saxons :

Pour les métiers du bâtiment

  • Une organisation des métiers figée dans des pratiques séquentielles

  • Une culture professionnelle majoritairement hostile au travail collaboratif

  • Une formation continue et permanente inopérante sur les thèmes abordés

Pour l'acquisition initiale des connaissances

  • Une formation initiale calquée sur l'éclatement et le cloisonnement des métiers

  • Une évolution pénalisante de l'enseignement de l'architecture

  • Un retard certain dans l'appropriation des TIC et des TICE dans l'enseignement dédié à la Construction

Pour la recherche nationale (universitaire)

  • Un déficit, pour ne pas dire une absence, de recherche appliquée issue de l'enseignement initial sur les thèmes des TIC et de l'interopérabilité en AEC (quelques exceptions)

L'étude eXpert[1] a démonté le mécanisme du blocage. Nous le résumons en 6 points :

  1. A l'extrémité de la chaine du processus de construction, les métiers de la GTP sont demandeurs d'interopérabilité. Tous attendent des ouvrages exécutés, directement exploitables dans leurs bases de données à restructurer en BIM.

    Tous attendent aussi une modélisation normalisée de leur patrimoine existant.

  2. A la naissance du processus, la Maîtrise d'ouvrage et les donneurs d'ordre, conscients de l'intérêt de l'interopérabilité, sont également demandeurs (voir le club des usages Chapitre 2.5). Ils ont tenté de lancer des appels d'offre basés sur l'interopérabilité. Restés sans réponses, faute d'un nombre suffisant d'équipes de maîtrise d'œuvre compétentes.

  3. Médiaconstruct a pris acte du besoin urgent de formation à grande échelle.

    Dans un premier temps, elle pensait qu'il suffirait de monter des formations permanentes spécialisées à l'attention des ingénieurs, architectes et économistes en exercice.

    Une fois le mouvement initialisé, le processus d'acquisition des connaissances progresserait de lui-même. Notons au passage que ces formations, interdisciplinaires et interprofessionnelles par définition, étaient en elles-mêmes innovantes et difficiles à monter. Les fédérations professionnelles ont donc été sollicitées. Les candidats ne se sont pas présentés, sauf les universitaires. L'expérience, qui a duré trois ans, avec le soutien de la Direction de l'Architecture (DAPA[2]), a été abandonnée.

  4. Médiaconstruct a donc interrogé principalement les professionnels en exercice de l'architecture et de l'ingénierie. Nous résumons le résultat de cette enquête :

    « Pourquoi êtes-vous réticents à envoyer vos techniciens en formation permanente, alors que vous reconnaissez les avantages économiques et qualitatifs que vous pouvez retirer de l'interopérabilité ? »

    La réponse est somme toute cohérente : « Nous nous formerons à ces méthodes nouvelles qui remettent en question notre appareil de production et nos habitudes lorsque nous y serons obligés »

    Les architectes précisent : « Nous constatons qu'en dépensant beaucoup d'efforts pour alimenter une maquette numérique 3D en vue des échanges, ce qui profite à nos partenaires, rien n'a été prévu pour augmenter nos honoraires en conséquence »

    Ces deux arguments ne seraient pas avancés par des professionnels habitués au travail collaboratif.

  5. La cause du blocage est donc grave et permanente : Les demandeurs de l'interopérabilité, qui en constituent le futur marché, attendent les compétences.

    Les compétences attendent pour se développer la pression d'un marché qui reste latent, non pas complètement absent, mais marginal. Cette situation d'attente peut s'éterniser. Un seul acteur ne peut la débloquer. Ni les éditeurs de logiciels, qui attendent aussi l'essor du marché pour améliorer leur offre. Ni une action de la part des Pouvoirs Publics auprès des métiers, tant que les compétences n'existeront pas.

  6. La cause de la cause du blocage est un problème de formation de l'ensemble des acteurs à une nouvelle culture professionnelle. La formation des professionnels en exercice est donc inopérante dans le contexte français actuel, du moins au niveau qui nous intéresse, celui des PME, TPE, professions libérales. Les grosses entreprises ont les moyens de former leurs ingénieurs à des spécialités conformes à une culture, celle de l'entreprise ...

Reste donc pour débloquer la progression de l'interopérabilité en France, une solution (entre-autre) envisageable et efficace, mais à plus long terme : la formation initiale, à condition qu'elle soit interdisciplinaire et interprofessionnelle et d'ambition nationale en terme de masse. Son rôle est de préparer les futurs partenaires de la Maîtrise d'œuvre collectivement au travail collaboratif et à l'interopérabilité. La transformation de notre culture professionnelle sera progressive par un renouvellement des compétences.

  1. Expert : Projet Expert confiié à BuildingSmart France (Médiaconstruct) visant à soutenir et accompagner les progrès liès aux nouvelles pratiques, grâce au partage, à l'échange, à la normalisation, et, à la sécurisation des informations techniques sur les projets et les produits industriels, auprès de l'ensemble de la filière et particulièrement de sa multitude de PME/PMI.

  2. DAPA : Direction de l'architecture et du patrimoine

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