Historique, vocabulaire, perception
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Généralités

Evoquer la notion de risque est une attitude de plus en plus fréquente dans les sociétés occidentales. Les acteurs politiques ou socio-économiques doivent traquer le risque, auquel le citoyen ou l'usager est devenu allergique. Chacun de nos actes (manger, conduire, respirer...) est susceptible d'induire des effets néfastes, qu'il faut réduire ou, mieux, prévenir... La perte de mémoire des populations face à la récurrence des catastrophes naturelles et le manque de culture du risque dans nos sociétés est une constante relevée après chaque catastrophe. La disparition de repères historiques explique les parties de bras de fer qui peuvent se jouer entre les élus locaux et l'administration pour la mise en place des outils de prévention. Si, au siècle dernier, les maisons construites en bord de fleuve possédaient un étage où les habitants se réfugiaient en cas de crue, les constructions récentes répondent à d'autres impératifs esthétiques ou techniques et la population n'accepte plus l'inondation des lieux de vie.

Dans ce contexte, le technicien et l'ingénieur sont des experts dont le savoir et les compétences apparaissent bienvenues. Chaque semaine, chaque mois apporte son lot de catastrophes naturelles (avalanches, séismes, inondations...) pour lesquelles le savoir technique des constructeurs est sollicité.

Mais le Génie Civil, artisan de la protection d'un côté, revêt un double visage : il est aussi parfois source de risques. L'immeuble qui s'effondre sur ses occupants, le barrage qui pourrait se rompre, la centrale nucléaire... sont identifiés comme autant de menaces par la population. La réalité est plus nuancée. Certains risques ne sont ni totalement naturels, ni entièrement technologiques1. Des exemples récents montrent que les inondations catastrophiques ou les glissements de terrain peuvent être amplifiés, voire causés par des constructions ou des aménagements mal maîtrisés. Dans d'autres situations, il peut être difficile de trancher entre le caractère bénéfique et maléfique des aménagements : les ouvrages portuaires peuvent modifier le transit littoral par l'accumulation de sédiments à l'amont et à l'aval, stabilisant le rivage d'un côté mais augmentant l'érosion de l'autre.

1 Le vocabulaire spécifique au risque est supposé connu du lecteur, qui trouvera les définitions utiles dans d'autres communications du colloque.

Nous allons nous efforcer de tracer les grandes lignes de la chaîne de prévention et de gestion des risques, en soulignant les similitudes entre les risques naturels et les risques technologiques, et en identifiant le rôle essentiel revêtu par les acteurs du Génie Civil. Ce rôle dépend avant tout, comme nous le verrons, des capacités techniques à agir sur les sources de danger, soit dès l'amont (en réduisant ou annihilant les aléas), soit en diminuant les effets d'une menace inévitable.

La distinction entre ces familles de risques peut sembler arbitraire. En fait, sont qualifiés de technico-naturels les risques pour lesquels l'aléa d'origine naturelle peut être transformé du fait de l'action humaine. Ainsi, à une cause météorologique naturelle (de fortes précipitations) succède une crue catastrophique, dont l'ampleur dépend des conditions d'aménagement du territoire, des modes d'occupation des sols... On peut en dire de même pour les mouvements de terrain ou les phénomènes d'érosion littorale. A l'inverse, nous qualifions de risques naturels ceux pour lesquels l'homme a peu d'influence sur la nature et l'intensité de l'aléa et doit donc adapter ses réponses.

On abordera aussi brièvement certains aspects des risques économiques liés à la gestion patrimoniale des ouvrages, dont les aspects sécurité ne sont pas absents, mais qui relèvent d'enjeux multicritères (contraintes d'utilisation, impacts, aspects financiers...).

Les enjeux attachés à ces dangers potentiels sont très disparates, tout comme les moyens d'action techniques ou les échelles de temps concernées. Il en découle que les stratégies mises en œuvre, au-delà d'une grande cohérence, s'adapteront selon le contexte spécifique.

Enfin, une des caractéristiques des ouvrages de génie civil, si on les compare à d'autres types de produits de l'ingénierie, est leur durée de vie longue (plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines d'années), au cours de laquelle leurs conditions d'exploitation peuvent être modifiées. Ainsi les risques relatifs aux ouvrages de génie civil peuvent relever de trois registres, selon la phase au cours de laquelle se manifestent les menaces [Perret F., cité par Bordes F., 2003] :

  • les risques ayant pour origine les caractéristiques spécifiques congénitales de l'ouvrage, indépendamment de son utilisation (risques de conception, risques d'exécution),

  • les risques ayant pour origine les règles de gestion et d'exploitation de l'ouvrage (il s'agit alors avant tout de défauts de cohérence dans le système conception – gestion – exploitation),

  • les risques liés aux actions sur l'ouvrage exercées par son environnement, tout au long de sa durée de service.

La prise en compte de cette dimension temporelle sera indispensable.

Le caractère rationnel de la maîtrise des risques a accompagné celui de leur perception. Les documents historiques nous fournissent une première analyse de la prise de risque au cinquième siècle avant notre ère (Lannoy, 2008). Ainsi, Périclèse s'exprime lors de la guerre du Péloponnèse, en 431 av. J.C. : « C'est par nous-mêmes que nous décidons des affaires, que nous nous en faisons un compte exact pour nous, la parole n'est pas nuisible à l'action, ce qui l'est, c'est de ne pas se renseigner par la parole avant de se lancer dans l'action. Voici donc en quoi nous nous distinguons : nous savons à la fois apporter de l'audace et de la réflexion dans nos entreprises. Les autres, l'ignorance les rend hardis, la réflexion indécis. Or ceux-là doivent être jugés les plus valeureux ceux qui, tout en connaissant exactement les difficultés et les agréments de la vie, ne se détournent pas des dangers ». On notera dans cette citation les composantes de la maîtrise des risques que nous allons détailler ci-dessous : l'acquisition de connaissances, la réflexion et la décision.

Dans de nombreux domaines techniques se sont développées des logiques de gestion du risque. Dans le secteur de la construction, ces logiques se sont développées de manière plus empirique, avec un retard certain par rapport à d'autres secteurs industriels (génie chimique, génie nucléaire, ingénierie pétrolière...) dans lesquels, progressivement, des normes ont été mises en place, y compris relatives au vocabulaire de la gestion des risques. Parallèlement, les spécialistes des risques naturels ont, eux aussi, développé des logiques propres à leur domaine. Avant d'aller plus loin, il nous semble essentiel, dans un souci de rigueur, de préciser ce que recouvrent termes que nous serons amenés à employer par la suite.

Commençons par préciser ce que l'on entend par maîtrise des risques et gestion des risques.

Définition : Maîtrise des risques

Processus d'application de la politique de l'organisme permettant la mise en œuvre itérative et continue de l'analyse et de la gestion des risques d'un projet [AFNOR - FD X50-117]. La maîtrise des risques est le résultat normal de la mise en place d'une procédure de gestion des risques.

Dans cette définition normalisée, le terme de « projet » provient du contexte industriel à l'origine de la définition (le projet de conception d'un nouvel avion par exemple). Il peut être étendu sans difficulté au domaine de la construction et de l'aménagement.

Définition : Gestion du risque

Procédure globale regroupant l'appréciation du risque, la décision (définition de la stratégie d'action), le traitement du risque et sa surveillance.

Méthode :

Les étapes de la gestion des risques sont détaillées sur le schéma simplifié suivant :

  • identifier : identification et analyse des risques,

  • évaluer : évaluation des risques,

  • décider : définir la politique de mitigation/réduction,

  • réaliser : traiter les risques et surveiller.

Le schéma ci-après traduit une démarche cyclique, itérative : à l'issue de la quatrième étape, un bilan permet de savoir si les objectifs sont atteints, en comparant le risque résiduel au risque acceptable. On peut, si le risque demeure trop élevé, relancer le processus, pour parvenir à maîtriser les risques, c'est-à-dire à les réduire à un niveau acceptable. On emploie aussi parfois le terme anglo-saxon de « risk management » pour parler de gestion des risques.

Représentation cyclique de la gestion et maîtrise des risques.
Représentation cyclique de la gestion et maîtrise des risques.

La gestion des risques s'appuie d'une part sur la mise au point et l'utilisation d'un ensemble de techniques (procédures, équipements, automatismes, mesures...) visant à réduire la probabilité d'occurrence des aléas et leurs conséquences, constituant l'ingénierie du risque, d'autre part sur des structures organisationnelles, vérifiant que les mesures techniques restent opérationnelles (contrôle régulier).

La première partie du travail s'inscrit dans une démarche analytique : on parle d'analyse de risques.

Définition : Analyse de risques

Démarche dont la finalité consiste à identifier la mise en danger (les sources potentielles de dommage) pour estimer les risques. Elle consiste à utiliser l'information disponible pour établir des scénarios résultant de l'occurrence d'un aléa, et déterminer la probabilité et l'amplitude de ses conséquences sur les individus et la population, les biens matériels et l'environnement, du fait des aléas.

Méthode :

L'analyse de risques est une activité qui consiste à répondre aux trois questions suivantes :

  • Qu'est-ce qui peut conduire à des situations de danger ?

  • Quelles sont les conséquences potentielles de ces situations ?

  • Quelles sont les chances que ces situations et ces conséquences se produisent ?

Cette démarche est conforme à la définition usuelle du vocable « analyse », c'est-à-dire un examen détaillé d'un phénomène complexe de manière à en comprendre la nature ou à déterminer les caractéristiques essentielles. L'analyse de risque repose en général sur les étapes suivantes :

  • la définition et l'analyse du système (fonctions remplies par chaque composant, interactions entre composants et avec l'environnement),

  • l'identification des dangers, en liaison avec les données : environnement naturel, humain, technologique...,

  • l'estimation de la vulnérabilité des enjeux,

  • l'identification des conséquences.

Une fois cette phase achevée, on peut dire que les risques sont identifiés.

Définition : Identification des risques

Le processus permettant de trouver, lister et caractériser les éléments du risque. Le processus d'identification des risques considère le système à étudier, ses limites et son environnement. Cela consiste à prendre en compte les fonctions à satisfaire, les menaces et les vulnérabilités comme point de départ pour une analyse plus en profondeur [norme ISO/IEC 13335-1 (11/2001)].

Vient alors la phase d'évaluation.

Définition : Evaluation des risques

Etape du processus général de gestion du risque, succédant à l'étape d'analyse de risque, au cours de laquelle des valeurs et des jugements intègrent le processus de décision, de manière explicite ou implicite, en prenant en considération l'importance des risques estimés et des conséquences sociales, environnementales et économiques qui leur sont associées.

On distingue parfois l'évaluation et l'estimation des risques, au cours de laquelle on se borne à quantifier des valeurs de probabilité d'occurrence des conséquences, sans attacher de valeur à ces conséquences.

Une fois les risques identifiés et quantifiés, la comparaison aux valeurs souhaitées permet de définir puis de mettre en œuvre un programme de réduction des risques.

Définition : Réduction des risques

L'application choisie de techniques appropriées et de principes de gestion pour réduire soit la probabilité d'occurrence d'un aléa, soit celle de ses conséquences, soit les deux.

On emploie aussi parfois le terme de mitigation des risques.

Définition : Mitigation des risques

Dans le domaine de la gestion des risques, la mitigation consiste à réduire les dommages afin de les rendre supportables - économiquement du moins - par la société.

En matière de prévention de certains risques naturels, et à la différence des risques technologiques, on verra qu'on ne peut empêcher certains phénomènes de se produire. La mitigation de ces risques est donc l'action qui conduit à réduire l'intensité de certains aléas (inondations, coulées de boue, avalanches...) et la vulnérabilité des enjeux pour faire en sorte que le coût des dommages liés à la survenue de phénomènes climatologiques ou géologiques soit supportable par notre société.

Il reste à mettre en œuvre des moyens pour s'assurer que les risques ne franchiront pas à l'avenir les niveaux jugés acceptables. Il s'agit de la surveillance.

Définition : Surveillance

Ensemble de moyens mis en œuvre pour suivre le fonctionnement d'un système.

En gestion de risques, la surveillance permet de s'assurer du bon fonctionnement d'un système, de repérer des évolutions précoces, de détecter des phénomènes imprévus ou le franchissement de seuils d'alerte prédéfinis. La surveillance peut être visuelle, ou reposer sur des moyens métrologiques plus sophistiqués (par exemple le suivi du mouvement d'un versant naturel instable, le suivi des déformations d'un ouvrage d'art, la mesure en continu des hauteurs de crue...).

L'objectif de tout plan de maîtrise des risques est de réduire les risques au niveau qui sera jugé acceptable par les responsables décideurs, en mettant en œuvre les mesures de réduction définies après l'analyse et l'évaluation. Le choix des actions à entreprendre en priorité résultera de considérations technico-économiques relatives au coût, à la faisabilité et à l'efficacité de chaque action. Le plan mis en œuvre, on pourra identifier les risques résiduels et définir des mesures complémentaires.

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